Session 4 - Les minorités doivent-elles être reconnues ou ignorées ?

Intervenants :       
Discutant :
    Tadas LEONCIKAS (Eurofound, Union Européenne) 
    Fabrice BARDET (ENTPE, France)
    Gwénaële CALVES (Université de Cergy-Pontoise, France)   Présidente:
    Jean-Pierre LAVAUD (Université de Lille 1, France)     Mônica Raisa SCHPUN (EHESS, France) 

 
En France, l’ethnicité, et a fortiori la race, ne sont pas des catégories que les pouvoirs publics peuvent légitimement employer pour conduire leurs actions. Face à cette position, de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les phénomènes de discrimination que cela masquerait et par conséquent favoriserait. Ces contestations s’adossent à un courant de pensée en expansion dans les sciences sociales françaises qui place la “reconnaissance” des minorités au cœur de l’analyse des conflits sociaux. Dans un tel contexte, les particularismes des minorités ne pourraient plus être ignorées, ni par les chercheurs, ni par les gestionnaires de l’action publique. La France doit-elle et peut-elle encore résister à l’introduction de catégories ethniques, culturelles ou même raciales dans l’élaboration de ses politiques, sachant d’ailleurs que, dans les pratiques, ces catégories sont souvent déjà intégrées ?
 

Tadas Leoncikas, directeur de recherche à Eurofound, l’agence européenne en charge de l’amélioration des conditions de vie et de travail, présente une intervention sur l’usage des statistiques ethniques dans le contexte d’Eurofound et plus largement sur les enjeux de la mesure de la diversité pour cette agence de l’Union européenne. Tadas Leoncikas présente ainsi l’une des trois grandes enquêtes financées par Eurofound : l’enquête sur la qualité de vie qui envisage de nombreuses dimensions à la fois objectives et subjectives, sur divers aspects allant de la qualité des services publics à des aspects spécifiques liés par exemple aux phénomènes de précarité ou de pauvreté. La question se pose dans ce type d’enquête à la fois de la reconnaissance des minorités, mais également de la mesure de leur ampleur. Tadas Leoncikas insiste sur le caractère très fluctuant des catégories utilisées dans les enquêtes et propose de voir la catégorisation comme le fruit d’un contrat entre la société et ses chercheurs. Si le contrat ne convient plus (la catégorisation statistique), il suffit de le changer. C’est ainsi que fut décidé, pour l’enquête sur la qualité de la vie de 2007, à la suite notamment des émeutes qui avaient affectées les banlieues françaises en 2005, mais aussi à la suite d’autres mouvements sociaux en Europe, d’introduire une question sur la perception de la diversité dans le quartier d’habitation des enquêtés.

 

 

 

Gwénaële Calvès, professeur de droit public à l’Université de Cergy-Pontoise, débute son intervention en rappelant l’absence de définition juridique, dans le droit français, à la notion de communauté. Les mobilisations communautaires sont des phénomènes de droit commun (associations, médias privées, etc.) et le droit se désintéresse de cette notion. Il en va tout autrement de la question des minorités (quelles soient nationales, religieuses, culturelles, sexuelles, ethno-raciales, etc.) qui sont reconnues et protégées par le droit public. Gwénaële Calvès expose les diverses formes juridiques de cette reconnaissance. La forme la plus solennelle est la reconnaissance constitutionnelle qui apparaît aujourd’hui très improbable en France et sur laquelle Gwénaële Calvès revient dans un premier temps. Dans un deuxième temps, Gwénaële Calvès s’appuie sur une perspective de droit comparé des minorités, afin d’examiner les autres formes de reconnaissance des minorités, infra-constitutionnelles. Elle évoque l’évolution en France vers un « droit républicain des différences » comme le propose Danièle Lochak qui permet d’expliquer comment, sans reconnaître les cultes, la République les connaît, les co-organise.

 

 

Jean-Pierre Lavaud, professeur de sociologie émérite à l’Université de Lille 1, propose, avant d’aborder le cœur de son exposé qui concerne la question de la catégorisation ethnique en Bolivie celle en particulier concernant les « indiens », de se demander dans quelle mesure la situation bolivienne permet d’éclairer le cas Français. En Bolivie en effet, les minoritaires, les « Indiens », sont majoritaires en nombre, ce qui renverse beaucoup de problématiques, mais peut-être cela constitue-t-il justement l’intérêt de cet exemple. Jean-Pierre Lavaud évoque d’abord la situation politique dans ce pays, suite à l’élection en 2006 du président Evo Morales, puis à l’adoption en 2009 d’une nouvelle constitution « indianiste » reconnaissant trente-six groupes linguistiques identifiés, souvent appelés « nations » ou « peuples autochtones paysans ». Jean-Pierre Lavaud aborde ensuite le cœur de son exposé qui concerne la définition de l’Indien, en commençant par le plus concret : les comptages des Indiens. L’analyse des chiffres issus des divers recensements démontrent selon Jean-Pierre Lavaud que la seule réalité scientifique qui émane de ces chiffres est celle de l’influence des questions sur les réponses obtenues…

 

 

Dans son commentaire, Fabrice Bardet, chercheur au laboratoire RIVES de l’ENTPE, propose de revenir d’abord sur la conception de cette session, pensée comme l’occasion de chercher à s’intéresser plus aux problèmes (qu’aux solutions) liés à l’introduction ou la généralisation de la « communauté » dans la conception des sociétés. Le texte de présentation de la session rappelait que la présente conférence intervient dans un contexte globalement favorable au développement de son usage en France. Or, comme cela a été rappelé par Madame Calvès, l’usage des catégorisations ethniques est interdit dans la gestion des affaires publiques.
L’idée de cette session était de proposer de prendre notamment l’angle du système statistique public pour réfléchir aux enjeux. D’abord, parce que la statistique est l’outil de toutes les autres administrations, mais aussi l’outil des scientifiques. De ce fait même, la statistique est au cœur d’une controverse ancienne, dite des « statistiques ethniques » qui intéresse au-delà des frontières les observateurs.

 

 
Discussion

S’ensuit une discussion animée par Mônica Raisa-Schpun historienne à l’EHESS. Un premier échange a lieu sur le projet de Convention cadre discuté en Europe au début des années 1990, pour reconnaitre un droit spécifique aux minorités nationales. Un second échange s’organise autour de la notion de « communauté des citoyens » proposée par Dominique Schnapper. La discussion revient ensuite sur la notion de diversité et sur son acception en France, puis sur les conditions dans lesquelles une catégorisation ethnique est légitime pour observer les phénomènes économiques et sociaux à condition qu’elle s’opère dans des contextes spécifiques, avec des objectifs déterminés et ponctuels. D’autres discussions se développent autour de la gestion des populations Roms en Europe, puis sur la base de l’exemple bolivien, dans une perspective comparatiste, pour éclairer l’histoire de la catégorie des Français musulmans venus d’Algérie dont il est rappelé qu’il s’agissait d’une catégorie juridique (et non pas ethnique) dont il était possible de sortir (même si les travaux de sociologie ont démontré le caractère rare de cette sortie), tout comme la catégorie « gens du voyage » que la France retient à la place de celle de « Roms ». Un dernier échange a lieu autour de la forme participative de la conception des enquêtes d’Eurofound. Les débats se caractérisent par la diversité des points de vue exprimés.

 

 

Undefined